Par Pierre Yvan BELINGA
La chute du régime de Bachar el-Assad, survenue le 8 décembre 2024, a marqué un tournant décisif pour la Syrie. Après plus de treize années de guerre civile, le pays se retrouve à un carrefour crucial, où la reconstruction économique, sociale et politique est devenue une priorité absolue. La Syrie est entrée dans une nouvelle phase de son histoire. Mais force est de constater que des combats continuent dans le nord du pays, notamment autour de la ville de Manbij, où les factions de l’Armée nationale syrienne (ANS) – qui seraient soutenues par la Turquie (1), et les forces armées kurdes s’affrontent. La situation reste volatile, avec des tensions persistantes entre les différentes factions et communautés.
La reconstruction comme référentiel des nouveaux dirigeants
Ahmed al-Charaa, le nouveau leader de la Syrie, a clairement indiqué que la priorité est désormais la reconstruction du pays. Lors d’une rencontre exclusive avec la chaîne de télévision France 24, il a appelé à la levée des sanctions internationales sur la Syrie pour permettre la relance économique. Ahmed al-Charaa s’exprime en ces termes: « on ne doit même pas négocier cette levée des sanctions : c’est notre droit de nous en libérer, nous les Syriens, les victimes, sommes punis pour les actes de notre bourreau, qui lui n’est plus là ». Il poursuit en mentionnant que la reconstruction du pays ne pourrait se faire sans les Syriens eux-mêmes: « notre première préoccupation, c’est de faire rentrer les gens chez eux, que ce soit de l’étranger ou les déplacés en Syrie. Il faut donc sécuriser cette période transitoire, tout en s’assurant que l’aide nécessaire sera fournie à tous les Syriens qui reviennent chez eux, avec de la nourriture, des infrastructures, des services et une sécurité ». Cette démarche vise à stabiliser le pays et à créer un environnement propice à la reconstruction.
L’appel à un retour des Syriens de l’étranger pour faire face aux défis économiques
La reconstruction du pays va nécessiter d’importants investissements dans les infrastructures, l’industrie, l’agriculture et les services de base, entre autres domaines. Le Premier ministre de transition, Mohammed Al-Bachir, a incité les Syriens de la diaspora à revenir afin de contribuer à cet effort de reconstruction. Dans une entrevue accordée au journal italien « Corriere della Sera », il a souligné que « leur capital humain, leur expérience permettront au pays de prospérer […] Revenez. Nous devons reconstruire, renaître et nous avons besoin de l’aide de tous ». D’après un rapport de la Banque mondiale datant du printemps 2024, le produit intérieur brut (PIB) de la Syrie avait chuté de 54 % entre 2010 et 2021. L’institution financière n’exclut pas la possibilité que la réalité sur le terrain soit encore plus désastreuse. Actuellement, la Syrie est classée comme un pays à faible revenu, alors qu’avant la guerre civile, elle était considérée comme un pays à revenu intermédiaire à forte croissance. Le contexte économique est des plus sombres. La Livre syrienne – la devise nationale, a connu une forte dépréciation, entraînant une augmentation significative de l’inflation, notamment en raison de la réduction des subventions pour l’essence et les produits pharmaceutiques par l’État. L’inflation était estimée à 115% pour l’année 2023 (2).
Reconstruire le tissu social Syrien : entre justice pour les victimes et gouvernance inclusive
Les atrocités de la guerre ont laissé des blessures profondes. La chute du régime d’Assad ouvre la voie à des investigations sur les crimes perpétrés pendant le conflit. Les Nations unies et diverses organisations non gouvernementales considèrent la Syrie comme une « vaste scène de crime » et exhortent à la préservation des éléments de preuve pour traduire en justice les responsables des atrocités. La réconciliation nationale et la justice transitionnelle seront cruciales pour restaurer le tissu social du pays. Il est impérieux de reconnaître les souffrances endurées, de juger les coupables des violations des droits de l’homme et de restaurer le tissu social syrien, profondément fragmenté par des années de conflit. De plus, une telle reconstruction ne devrait pas sous-estimer l’importance d’une gouvernance inclusive alors que des communautés alaouites (chiites), dont est originaire Bachar al-Assad, exprimeraient des préoccupations quant à leur avenir sous le nouveau régime dominé par des islamistes sunnites du groupe Hayat Tahrir al-Cham (HTC) (3).
La reconstruction de la Syrie après la chute du régime de Bachar el-Assad représente un défi colossal qui exigera une coopération concertée des Syriens et de la communauté internationale. Le 20 décembre dernier, une délégation de diplomates américains a tenu des pourparlers avec les nouveaux dirigeants à Damas afin d’explorer les modalités de soutien au processus de reconstruction (4). Des premiers contacts ont également été établis avec des délégations françaises, britanniques et allemandes. La stabilité politique, la revitalisation économique et la réconciliation sociale s’avèrent être des fondements cruciaux pour l’avenir du pays. Les mois à venir seront déterminants pour évaluer la capacité de la Syrie à surmonter les obstacles et à s’orienter vers un avenir empreint de paix et de prospérité.